Nous avons vu, dans notre premier article dédié à la pénurie de médecins spécialisés en France, que le délai d’attente pour obtenir un rendez-vous chez le pédiatre était de 43 jours. En 2022, face à la pandémie hivernale, 10 000 soignants issus du monde de la pédiatrie écrivaient une tribune directement à l’attention du président de la République sur la situation précaire de la pédiatrie, sur les risques et surtout les pertes de chances encourues par les enfants. Cette tribune avait eu pour effet direct la convocation en urgence d’Assises de la pédiatrie et de la santé, assises qui prévoyaient des mesures pour le printemps 2023.
En mars 2023, 6 objectifs étaient dévoilés :
- Garantir à tous les enfants un parcours de santé de qualité et sans rupture
- Améliorer le parcours en santé des enfants aux besoins particuliers
- Relever le défi de la santé mentale des enfants
- Mieux prévenir, pour améliorer la santé globale des enfants
- Renforcer la formation des professionnels et faire évoluer les métiers de la santé de l’enfant
- Améliorer les connaissances et les pratiques en santé de l’enfant par la recherche, et favoriser les pratiques innovantes
Ce n’est que plus d’un an après, le 24 mai 2024, que les conclusions de ces Assises sont dévoilées.
Une formation initiale sur les questions pédiatriques réduite pour les médecins généralistes
Si déjà 85% des consultations pédiatriques se font chez le médecin généraliste, la hausse constante des délais d’attente chez le pédiatre vont rendre cela quasiment systématique. Le problème ? La réforme de la formation de ces médecins généralistes sur la santé des enfants est contestée. En effet, ils ont vu leur internat passer de 3 ans à 4 ans, mais la brochure de la formation a été revue et la formation sur la santé de l’enfant y prend moins de place. Si les internes avaient avant l’obligation de faire un stage de 6 mois en santé de l’enfant, celui-ci est désormais réduit à 3 mois.
Une tribune sortie dans le journal Libération il y a quelques mois, signée par un collectif de représentants de pédiatres hospitaliers, libéraux, associations de parents, mais aussi de médecins généralistes, demande le maintien de ce stage obligatoire à 6 mois. Une tribune qui, loin de contester la place prépondérante du médecin généraliste, indique que l’enfant n’est pas un adulte miniature, et qu’il est indispensable que le médecin généraliste soit capable de repérer les troubles du neurodéveloppement et les maladies chroniques de l’enfant.
Dans tous les cas, que la formation initiale des médecins généralistes reste à 6 mois ou passe à 3 mois, il est primordial que les médecins se forment en continu sur ces sujets, sur lesquels ils seront de plus en plus amenés à intervenir. C’est dans cette optique que l’agence nationale du DPC indique que le “suivi préventif des enfants par les vingt examens médicaux obligatoires au cours des dix-huit première années” est une des dix orientations prioritaires dans la formation continue des médecins généralistes pour 2023-2025.
Une hausse de la mortalité infantile inquiétante.
En dix ans, les morts de nourrissons de moins de 1 an augmentent au rythme de 0,04 mort pour 1000 naissances vivantes par an. Les causes ne sont pas identifiées. La France, à la 25ème place en Europe (3,8 morts pour 1000 naissances), est classée bien après la Suède, la Finlande ou la Norvège (2,1). Elle était encore à la 6ème place en 1989. Sur le nombre de ces décès en France, 1200 décès sont considérés comme évitables.
Nous sommes allés à la rencontre du Docteur Winter, médecin généraliste exerçant aux urgences pédiatriques, afin qu’il nous apporte un regard transverse sur cette question.
Une tribune signée par de nombreux soignants a été récemment publiée dans le journal Le Monde afin d’alerter sur l'absence de politique gouvernementale sur la santé de l’enfant, quelles sont pour vous les sources du problème ?
Pour moi, la racine du mal, c’est que la pédiatrie est l’un des parents pauvres de la médecine au même titre que la psychiatrie. Les moyens investis dans ces spécialités, qu’ils soient humains ou financiers, ne sont pas à la hauteur de l’enjeu.
Depuis plusieurs années, les pédiatres interpellent sur le manque de moyens en effectif et en lit. Pourtant, chaque hiver, on frôle la catastrophe. Nous n’avons pas assez de lits, pas assez de personnels, pas assez de services (réanimation néonatale, pédiatrie néonatale) et cela pour plusieurs raisons.
La première raison, c’est le manque d’attractivité de la pédiatrie. Cette spécialité regroupe plusieurs sous-spécialités (gastro-pédiatre, pneumo-pédiatre, endocrino-pédiatre) qui sont, chez les adultes, des spécialités à part entière. Ce qui implique de reproduire en microcosme les divisions que l’on retrouve chez les adultes et de créer des promos assez large pour pouvoir fournir des médecins dans toutes ces sous-spécialités.
Elle est aussi une des spécialités les moins bien payées. Il est primordial de penser à une revalorisation des salaires que se soit pour les médecins ou les paramédicaux. De moins en moins d'infirmières et de puéricultrices s’engagent au sein de l'hôpital public. L’état doit reconsidérer leurs conditions de travail et valoriser leurs actes afin de créer un choc d’attractivité. C’est un cercle vicieux : il y a moins de personnel, donc plus de charge de travail, ce qui entraîne des conditions de travail plus difficiles, etc.
La deuxième raison, c’est la crise de la médecine générale. Le médecin généraliste est souvent le premier médecin de l’enfant. Si vous avez une crise de la médecine générale, vous aurez par ricochet une crise de la prise en charge pédiatrique. En effet, un médecin généraliste, bien formé, est tout à fait capable de prendre en charge un enfant, sauf complication particulière qui nécessite de voir un spécialiste.
La troisième raison est l’inexistence de la prévention et de l’éducation à destination des parents. Où sont les campagnes d’éducation simples et faciles d’accès afin de reconnaître les signes d’urgence et ceux qui ne le sont pas ? Faire une campagne nationale sur le fait que la fièvre n’est pas un signe d’urgence vitale permettrait de réduire de 30% les entrées aux urgences pédiatriques.
Malheureusement, et comme bon nombre de mes confrères, je n’attends plus rien des Assises de la pédiatrie. Le problème est franco-français : beaucoup de réunions et de rapports. Il faut aujourd’hui les mettre en place et les concrétiser.
Comment le manque de pédiatres de ville et de médecins généralistes affecte-t-il votre charge de travail et quelles sont les conséquences directes sur la santé des enfants en France ?
L’existence de difficultés au sein des urgences, qu'elles soient adultes ou pédiatriques, est le premier signe d’alarme d’un dysfonctionnement de la médecine de ville, en soin primaire. Si les soins primaires vont mal, les patients ont tendance à se replier sur les urgences. C’est donc le manque de médecins généralistes et de pédiatres de ville pouvant répondre à l’importance de la demande de soins pédiatriques qui impacte notre charge de travail.
L’offre de soins pédiatriques diminue, sachant qu’elle a cette particularité de demander des consultations plus longues. On manque de médecins mais surtout de temps : il devrait y avoir plus de temps de parole pour écouter les parents, leurs demandes et les accompagner.
Comment collaborez-vous avec les médecins généralistes dans la gestion des soins pédiatriques ?
On devrait insister sur le sujet de la coopération. Le problème est la communication difficile entre l'hôpital et la ville. Il faut créer des liens entre les CPTS et les hôpitaux de chaque région en mettant en place des actions communes, une ligne d’appel pour que les médecins généralistes puissent, dans les cas difficiles, communiquer directement avec un pédiatre. Ce sont des choses qui existent, mais il faut qu’elles soient améliorées et surtout généralisées.
Il n’y aura jamais assez de pédiatres pour couvrir tous les besoins en France. Il faut arrêter d'être dogmatique et corporatiste et se dire que le médecin généraliste, bien formé, est capable de prendre en charge la santé de l’enfant.
Le stage obligatoire en pédiatrie pour les internes de médecine générale est passé de 6 mois à 3 mois. Que pensez-vous de cette évolution ? Quelles sont pour vous les mesures que doivent prendre les médecins généralistes pour rester à jour de ces questions ?
C’est dommage de voir deux camps se diviser avec d’un côté des médecins généralistes, et de l’autre des pédiatres.
D’un côté, un médecin généraliste bien formé est évidemment capable d’initier par la suite un internat sur des sujets de pédiatrie. De l’autre côté, un interne en médecine générale a besoin de voir ce qui se passe au sein du milieu hospitalier, de faire des urgences pour appréhender comment gérer ses patients et apprendre à déléguer.
Certains médecins généralistes doivent prendre leurs responsabilités pour se former correctement à la pédiatrie et savoir coller aux recommandations actuelles. Il faut développer les formations médicales continues de qualité permettant à tout le monde de travailler avec des bases communes. Et avec cela, il est primordial de mettre en place des contrôles de compétences et des réactualisations pour les médecins de ville.
Il y a des médecins généralistes qui orientent leur patientèle car ils choisissent de faire seulement de la gériatrie ou de la gynécologie par exemple. Cela est tout à fait légitime. Un médecin généraliste peut être le soin de premier recours de n’importe quelle spécialité : la preuve, on retrouve des médecins généralistes dans tous les services hospitaliers de spécialités. Je suis en service de pédiatrie mais j’ai des collègues en cardiologie, d’autres en pneumologie. Nous ne sommes pas plus mauvais que les autres, nous sommes aussi une spécialité à part entière mais qui a cette particularité de pouvoir se former à d'autres activités lorsqu'on le souhaite et cela nous donne toute légitimité.
Quels sont pour vous les 3 sujets qu’un généraliste doit maîtriser dans le secteur de la pédiatrie ?
Le médecin généraliste doit maîtriser les points d’étape du développement psychomoteur de l’enfant, tirer la sonnette d’alarme lorsque cela ne va pas, trier les situations d’urgence de l’enfance et gérer les situations sociales qui s’y rattachent.
La pédopsychiatrie en France est une catastrophe totale. On laisse des enfants mourir psychologiquement. Les attentes sur les CMP sont parfois supérieures à un an. Il n’existe pas assez de psychologues, on manque de pédo-psychiatres. Si vous voulez juger de la qualité d’une nation ou d’un pays, je pense qu’il faut la mesurer à la qualité de ses soins pour les gens atteints de problèmes psychiatriques que ce soit pour les enfants ou pour les adultes. L’état de santé défini par l’OMS n’est pas que physique mais aussi mental.
Pour lire le dossier de presse des Assises de la Pédiatrie : lire le dossier de presse des Assises de la Pédiatrie