« Au fond, je suis devenu au fil du temps une sorte d’accoucheur. On en a fini avec le “tu enfanteras dans la douleur”… Donnons-nous la chance d’accoucher les gens de leur mort, sans douleur, et ainsi d’améliorer les conditions du mourir, sans pour autant donner la mort ! »
Chef de service d’une unité de soins palliatifs pendant vingt-cinq ans, Claude Grange a accompagné des milliers de patients en fin de vie. À travers une suite de cas concrets et d’histoires à chaque fois singulières, le médecin aborde des questions d’actualité telles que l’euthanasie ou le suicide assisté, mais aussi les rapports avec la famille et les soins à donner.
Un compte-rendu d’expérience d’une grande humanité, que le philosophe Régis Debray prolonge d’une réflexion lumineuse sur la dignité et l’importance des derniers instants.
À travers son livre Le Dernier souffle, co-écrit avec le philosophe Régis Debray, le Dr Claude Grange dévoile son expérience de médecin en soins palliatifs. Un récit empreint d’une humanité rare, qui a capté l’attention du réalisateur Costa-Gavras, donnant naissance à un film poignant qui sort le 12 février 2025. Formateur chez Santé Académie, nous avons eu l’opportunité d'échanger avec le Dr Grange sur cette aventure éditoriale et cinématographique.
Entretien avec le Dr Claude Grange
Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre et à voir votre histoire portée à l'écran ?
“Tout est parti d’un dîner avec le philosophe Régis Debray. Au départ, je n'étais pas enthousiaste à l'idée d'y aller, pensant que ce serait un cercle trop intellectuel. Finalement, la soirée a été passionnante. Régis Debray, ayant lui-même vécu des AVC, était particulièrement intéressé par mon travail en soins palliatifs. Il m’a dit : “Vous faites un métier formidable, vous rendez humain ce qui ne l’est peut-être pas”.
Après cette rencontre, je l’ai invité à passer une journée avec moi à l’hôpital. Il a été frappé par la manière dont nous accompagnions les patients et les familles. C'est ainsi qu'est né le projet du livre : à partir de nos échanges et de son regard extérieur, nous avons structuré l'ouvrage.
Concernant le film, après la sortie du livre, j’ai eu la chance de rencontrer Costa-Gavras. Il m’a dit qu’il souhaitait en faire un film et que le projet l'inspirait. Je n'ai pas hésité une seconde... j’ai dit oui !”
Comment avez-vous vécu la transition entre médecin, auteur et inspirateur pour un film ?
“C’est une aventure inouïe. Je suis un médecin de campagne qui a fondé une unité de soins palliatifs et qui se retrouve publié chez Gallimard grâce à Régis Debray, puis adapté par un grand réalisateur. Je suis très reconnaissant pour toute cette aventure. Tout est parti d’un simple dîner... Comme quoi, il faut accepter les invitations !”
En quoi ce film est-il différent du documentaire Vivants réalisé par votre fils ?
“Le documentaire Vivants, réalisé par mon fils, Victor Grange, était un hommage au travail d’une équipe en USP, ancré dans la réalité. Le Dernier souffle est une fiction qui s’appuie sur mes récits cliniques pour raconter une histoire. Toutefois, le documentaire a servi le film : les acteurs et le réalisateur ont pu l’utiliser pour comprendre l’univers des soins palliatifs et s’imprégner du réel.
Le documentaire est un bel outil pour comprendre l’aspect humain des soins, mais le film prend des libertés artistiques pour raconter une histoire.”
Vous avez été impliqué dans l’adaptation du film ?
“Oui, Costa-Gavras tenait à respecter l’esprit du livre. Il nous a envoyé le scénario à Régis et moi pour ajuster certains points, notamment le langage médical et les dialogues entre soignants. Nous avons apporté des modifications pour que le film soit fidèle à la réalité de la pratique palliative. Il a été très à l'écoute de nos suggestions.”
Le film alterne entre plusieurs émotions fortes. Ces éléments reflètent-ils votre expérience en soins palliatifs ?
“Absolument. La fin de vie n’est pas qu’un moment de tristesse. Ce film est un hommage à ces instants d'humanité pure. Il n’est pas là pour donner des leçons. Il laisse chaque spectateur réfléchir à ce qu’il veut en tirer. C’est un film qui interroge, qui pousse à la réflexion. Les réponses à ces questions viennent de l’expérience de chacun. Ce film cherche avant tout à partager une vision humaine de l’accompagnement de la fin de vie, sans jugement ni parti pris.”
La prise en charge de fin de vie est-elle différente d’un simple traitement physique ?
“Oui, la prise en charge en soins palliatifs est avant tout holistique. Ce n’est pas seulement un traitement physique, mais une véritable approche globale. Nous prenons en compte la personne dans son intégralité : son histoire de vie, ses émotions, ses croyances, son environnement social et spirituel. Tout cela joue un rôle essentiel dans l’accompagnement de fin de vie. Les soins palliatifs ne se contentent pas de soigner un corps, mais d'accompagner une personne dans ses derniers moments, en respectant toutes ses dimensions.”
Comment percevez-vous l’évolution des attentes des familles et des patients concernant la fin de vie ?
“Les attentes des familles et des patients ont évolué. On constate que la médecine a beaucoup progressé techniquement, mais parfois au détriment de l’humanité. Il faut se rappeler que la fin de vie n’est pas une question de performance médicale, mais de qualité de vie. Les soignants doivent être bienveillants, à l’écoute, et capables de jongler entre compétence technique et relation humaine.”
Que manque-t-il aujourd’hui dans le système de soin pour accompagner la fin de vie et quel changement souhaitez-vous voir ?
“Ce qui manque cruellement, c’est la formation en soins palliatifs. La médecine est souvent enseignée de manière compartimentée, avec une forte orientation sur le diagnostic et le traitement. Mais on ne nous apprend pas à accompagner, à écouter. La médecine palliative est un domaine spécifique, et il est impératif que les soignants reçoivent une formation dédiée à l’accompagnement des patients en fin de vie. Cela permettrait de rendre la pratique plus humaine et plus respectueuse des besoins des patients.”
Quels enseignements tirez-vous de votre expérience auprès des patients ?
“Les patients en fin de vie m’ont appris beaucoup. Leur courage, leur capacité à relativiser les petits tracas de la vie quotidienne et l’importance du collectif dans le soin sont des leçons profondes. L’humilité et le respect de la dignité humaine, même dans les moments les plus difficiles, sont essentiels.”
Quel message souhaitez-vous adresser aux soignants et au grand public ?
“Aux soignants : N’ayez pas peur, osez la relation avec les patients. Trop de médecins sont formés à guérir, mais pas à accompagner. Il faut être présent jusqu’au dernier souffle. Au grand public : Ne fuyez pas. Les malades ont besoin de sentir qu’on sera là pour eux.”
Une invitation à voir le film
Le Dernier souffle est bien plus qu’un film sur la fin de vie : c’est un hymne à l’accompagnement et à la dignité. Porté par un casting exceptionnel avec Denis Podalydès et Kad Merad, il promet d’interpeller et d'émouvoir. Rendez-vous en salle le 12 février 2025.