Que ce soit en consultation de neurologie, où bien souvent les accidents surviennent de manière brutale, ou en consultation de cancérologie, où le diagnostic intervient après des examens poussés, le moment de l’annonce du diagnostic et du pronostic est clé pour le patient. Il est très souvent d’ailleurs “le moment même où le patient devient malade”. Et il en va de la responsabilité du soignant, médical comme paramédical, de prendre le temps, d’accompagner et d’écouter, permettant ainsi l’instauration d’une relation de confiance et le début d’une relation thérapeutique efficace.
Nous avons donné la parole au Dr Sophie Crozier Mortreux, neurologue PH à la Pitié-Salpêtrière, membre du Comité Consultatif national d’éthique (CCNE) et Judith Arnoult, IDE en cancérologie et soins palliatifs, formatrice en éthique médicale. Elles reviennent sur le rôle indispensable que joue ce moment dans la relation soignant-soigné et sur les bonnes pratiques à respecter pour faire de cette annonce un moment clé de la bientraitance : TEMPORALITÉ, LOYAUTÉ, ÉCOUTE, TRAÇABILITÉ.
À quoi correspond ce moment d’annonce du diagnostic ? Quel rôle jouent les soignants dans ce moment décisif pour le patient ?
Dr Sophie Crozier : Il est important de rappeler déjà que selon le champ des pathologies, des spécialités, l’annonce du diagnostic va être très différente. Par exemple, en neurologie, nous sommes dans des pathologies dites “aiguës”, qui surviennent brutalement. Dans le champ de la cancérologie, le diagnostic est annoncé au contraire après des examens. La temporalité et la chronologie sont donc très différentes.
Jusqu’au moment où les mots ne sont pas posés, on est encore, en tant que patient, dans une forme d’incertitude. Le diagnostic, l’annonce, pose le moment de l’entrée de la maladie, et est donc, à ce titre, très important. C’est un moment clé car on bascule dans une situation : à partir du moment où le patient a des symptômes, leur ressenti se modifie mais ce n’est vraiment qu’au moment où le soignant pose le diagnostic (que ce soit devant les patients ou les proches) que le patient prend conscience, est informé de la situation.
A l’annonce du DIAGNOSTIC succède l’annonce du PRONOSTIC. C’est vraiment cette annonce de pronostic qui est le plus difficile pour les médecins, et pour laquelle il y a énormément d’attentes du patient. Il est fondamental de bien distinguer ces deux moments qui, selon les pathologies, ne sont d’ailleurs pas dans la même temporalité.
Dans ce moment décisif dans la relation patient-médecin, la véritable question est de savoir quelle est l’attente du patient par rapport aux informations de pronostic. Dans le champ du cancer par exemple, très étudié, la question du pronostic est abordée : annoncer un mauvais pronostic c’est annoncer ce qu’on ne veut pas dire à quelqu’un qui ne veut pas l’entendre.
Pour le soignant, en fonction du type de pathologies, il peut aussi y avoir une grande part d’incertitude, et c’est très important de pouvoir l’exprimer. Car le pronostic, par essence, relève de l’ordre de la prophétie. Cette incertitude doit être exprimée par le soignant et est aussi un espace d’espoir pour le patient. Ce sujet est très complexe : “est ce qu’il faut toujours dire la vérité ?” ; “c’est quoi finalement la vérité ?”. Il faut distinguer ce que le patient peut entendre, est en capacité d’entendre réellement.
Dans la façon de procéder des médecins, il y a plusieurs étapes : il faut d’abord partir des questions du patient par rapport au diagnostic, mais aussi du pronostic ; vient ensuite le temps de l’acceptation de la maladie, de l’accompagnement psychologique du patient qui doit être anticipé.
Ce moment est enfin essentiel dans la relation thérapeutique du patient : si l’annonce est mal faite ou négligée, l’alliance thérapeutique peut ne pas du tout se faire.
Judith Arnoult : Le moment de l’annonce du diagnostic peut être caractérisé comme le moment de la fondation. C’est le moment où se noue la relation de confiance.
Pour les paramédicaux, ce moment est un peu différent, quoi qu’aussi important. Il arrive que le personnel paramédical soit présent au moment de l’annonce du diagnostic et du pronostic, en qualité d’écoutant actif à côté du médecin, mais ce n’est pas toujours le cas. Si le paramédical est présent, c’est une formidable opportunité : il connaît les mots du médecin, il a pu voir la réaction du patient (corporelle, verbale). Le paramédical intervient après : il va poser des mots sur ce qui a été entendu, il va questionner et accompagner le patient : qu’avez-vous entendu ? Qu'est-ce que vous en avez retenu ? Qu'est-ce que vous avez compris ? Parfois, le patient va employer des mots qui sont très différents de ceux utilisés par le médecin.
Prenons un exemple concret en cancérologie : pour un patient, le terme chimiothérapie ne veut rien dire et fait peur. La chimio c’est une perfusion. Il faut montrer concrètement ce que c’est, ce que ça implique pour le patient. Il est fondamental de mettre du concret, du quotidien.
Dr Sophie Crozier : Dans un service, notamment sur des pathologies aiguës, il me semble indispensable de faire participer les paramédicaux, car cela permet d’accompagner les annonces. Ce sont eux les plus proches du patient par la suite. Donc c’est auprès d’eux que les questions émergent. Dans toute l’information que l’on donne, seulement 10% est retenue. Le paramédical est donc là pour compléter, revenir sur certains points. Ces échanges sont toujours riches et permettent aussi au personnel paramédical de faire des retours aux médecins sur la façon dont ils ont perçu les choses, sur les réactions qu’ils ont observées chez le patient ou la famille.
Judith Arnoult : Si la consultation d’annonce se passe bien, tout le monde est gagnant : le patient, la famille, le personnel médical et paramédical, car une vraie cohésion se noue. C’est un véritable gain de bientraitance, de confiance pour avoir une alliance thérapeutique différente. Parfois, cette consultation d’annonce passe à la trappe, faute de temps. Or il est important de ne pas la négliger car elle fait, au contraire, gagner un temps fou. C’est un formidable effet boule de neige : le patient est informé, l’équipe s’est transmis l’information, les collègues savent précisément ce qui a été dit et prescrit. Sur le long terme, ce moment est décisif !
Cette consultation d’annonce a-t-elle évolué dans le temps ? Y a-t-il des éléments auxquels les soignants font désormais plus attention ?
Dr Sophie Crozier : Les choses ont beaucoup progressé. Avant la loi du 4 mars 2022, c’était quelque chose de finalement peu considéré par les médecins : il n’était pas évident qu’il fallait annoncer le diagnostic, donner des éléments concrets médicaux aux patients. Le parcours des années sida a déjà commencé à faire évoluer les mentalités : on a assisté à un mouvement majeur du droit des malades pour qu’ils puissent se réapproprier leur maladie. La loi de 2022 a fait évoluer les choses positivement. On est même arrivé au concept de “patient-partenaire” : c’est fort et sans commune mesure avec avant !
Cependant, la question des difficultés rencontrées dans le monde de la santé (contraintes de temps et de personnel) demeure un risque important. Ce moment d’annonce peut être considéré comme moins important que d’aller poser une perfusion pour un traitement majeur, ou aller opérer. Assister aux annonces de diagnostic n’est pas toujours facile dans l’organisation du temps soignant.
Il est donc essentiel qu’il y ait une reconnaissance de ces moments comme quelque chose d’aussi important que les gestes techniques ! C’est aussi important car l’alliance thérapeutique en découle !
Judith Arnoult : Je dis souvent “c’est formidable, le patient a gagné en autonomie” au fur et à mesure des années. Il faut cependant faire attention à ce que cela reste un gain et non que ça conduise à la solitude. Les soignants doivent garder en tête que seule une infime partie de ce qui a été dit a vraiment été entendue. La répétition fait partie intégrante du processus.
Dr Sophie Crozier : Ce qui a aussi évolué dans l’information qu’on donne aux patients, c’est qu’on s’est mis à faire des formulaires d’informations pour tout. C’est quelque chose d’à la fois positif - on donne de l’information - mais aussi de négatif - on “balance” le formulaire sans prendre le temps d’expliquer. Il faut faire extrêmement attention à ça : ne pas laisser le patient se débrouiller lui-même, car des choses pourraient être mal comprises.
Comment faire en sorte d’appréhender ce moment avec bientraitance ? Quels sont les principaux piliers pour réussir son annonce de diagnostic ?
Judith Arnoult : À mon sens, le principal pilier est celui de la TEMPORALITÉ. Ce pilier n’est valable que si l’on est profondément à l’écoute, car on va alors savoir la temporalité à donner vis-à-vis du patient. Et la temporalité est clé quand on parle de bientraitance : si on est en écoute active, alors nous pouvons proposer une temporalité au plus proche de ce que chacun demande. C’est un vrai objectif, qui suit à la fois les contraintes de la maladie, du service et des personnes en face de nous : les patients.
Dr Sophie Crozier : Il me semble important de rappeler deux choses. Quand on parle d’aspect éthique, on a aussi des repères législatifs. La loi sur l’information est claire : il nous faut donner une “information claire, loyale et appropriée”. Ces 3 mots sont très bien choisis. Claire et appropriée : utiliser des mots compris par la personne à un moment donné - on en revient au concept de temporalité abordé par Judith. Mais l’élément le plus important est la notion de LOYAUTÉ. Cela revient à savoir si on doit dire la vérité ou pas. Par rapport aux informations que je vais transmettre, vais-je être loyal envers le patient ? Faut-il tout dire ou s’adapter à ce que la personne peut/veut entendre ?
Enfin, l’un des piliers majeurs de la bientraitance est l’ÉCOUTE. Quand on utilise le mot “annonce du diagnostic”, on part du principe que le médecin parle. Mais il faut rester dans l’échange, l’écoute active. Comment parler de ça auprès du patient ? Qu’est-ce qu’il attend vraiment ? Qu’est-ce qu’il veut vraiment savoir ?
Judith Arnoult : Un autre pilier fondamental est celui de la TRAÇABILITÉ. C’est très important de pouvoir transmettre les informations dans les équipes, pour s’adapter aux soins du patient. Cela renforce la confiance. On est exactement dans la bientraitance ici : l’équipe parle entre elle, a compris l’attente et y répond.
Dr Sophie Crozier : Enfin, le lieu a toute son importance. Un espace d’accompagnement dédié, au calme, change tout. Depuis une vingtaine d’années, on fait beaucoup plus attention à ce point, alors qu’avant cela pouvait être fait aux urgences, dans un couloir.
La bientraitance passe-t-elle aussi par les relations entre les soignants ?
Judith Arnoult : La bientraitance, ce n’est pas seulement être un gentil soignant envers le patient, adopter une relation polie et professionnelle. C’est essayer de trouver comment individualiser le soins, comment répondre réellement aux besoins. Et ce n’est pas quelque chose qui se fait seul ! La limite de la bientraitance est très rapide si on est dans une hyper individualisation. On ne dit pas “mon patient” mais “celui du service”. Quelque chose finalement de très bien traitant, c’est être en mesure de dire au patient : “non, je ne suis pas là demain, mais il y aura quelqu’un qui va faire encore mieux que moi”.
Le patient a affaire à un truc énorme qu’est l’hôpital (odeurs, bruits…) et c’est l’équipe toute entière qui doit travailler à ce que le patient ait l’impression que le soin est réellement le sien. La bientraitance, c’est une culture : je peux faire plein de choses, mais aussi et surtout parce qu’il y a mes collègues qui ont les mêmes volontés. Il faut que la bientraitance soit aussi importante pour mon collègue que pour moi. La question managériale est donc clé !
Les soignants sont-ils formés spécifiquement à ce moment de l’annonce du diagnostic/pronostic ? Comment peuvent-ils progresser en continu pour tendre vers davantage de bientraitance ?
Dr Sophie Crozier : La formation initiale est essentielle car elle montre l’importance qu’on accorde à cet aspect du soin. Jusqu’il y a peu de temps, ce n’était pas forcément le cas : il y avait peu d’enseignement autour de l’éthique et de la bientraitance. Mais même si ça parait évident, s’il y a une formation initiale, c’est par ailleurs quelque chose qui doit être des injections régulières, au sein des services et entre les équipes. Ce sont des moments hyper importants pour renforcer le lien entre équipe médicale et paramédicale. Cela nécessite évidemment une formation continue.
Judith Arnoult : Du côté des infirmiers, le rôle n’est pas le même et on peut vite tomber dans l’écueil : “ce n’est pas mon rôle ce moment d’annonce, c’est celui du médecin”. C’est souvent le cas pour les étudiants des IFSI. C’est l’un des premiers apprentissages qu’il faut avoir : nous ne sommes pas médecins, il y a des choses qu’on ne sait/ne peut pas dire, mais comment on fait pour recevoir les informations et accompagner le patient ? Il ne faut surtout pas faire un refus d’obstacle.
Et cet aspect n’existe pas dans la formation : cela vient plus tard, sur le terrain. C’est important que la formation continue intègre la notion de “retour des patients”. Il faut écouter les attentes du patient, essayer d’avoir de l’empathie et d’aller chercher ce que l’autre peut ressentir.