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Santé Académie continue son tour d’horizon des spécialités en médecine les plus en tension. Après la pédiatrie et la gynécologie, nous nous sommes tournés vers le Professeur Vincent Darrouzet, médecin et chirurgien ORL, président de la société française d’ORL et ancien président du Conseil National Professionnel (CNP) des ORL. En tant que président de CNP, il a beaucoup travaillé sur la démographie des ORL en se rapprochant notamment du ministère de la santé. Il est spécialisé dans le traitement des vertiges, et prône la formation des médecins généralistes sur le sujet. 

Pouvez-vous nous expliquer l’ampleur actuelle de la pénurie de médecins ORL en France ? Quelles sont, selon vous, les principales causes de cette pénurie de spécialistes ORL notamment libéraux ?

En France, ce n’est pas tant le nombre de médecins mais plutôt la répartition entre les généralistes et les spécialistes qui est singulière à notre pays : on compte 45% de médecins généralistes pour 55% de spécialistes. En comparaison, environ 78% des médecins en Allemagne sont des spécialistes. La démographie de médecins ORL reste évidemment un problème : Dans les années 2010, nous étions environ 2800 ORL en France, mais ce nombre a diminué à 2500 aujourd'hui. Chaque année, pendant les 20 prochaines années, 120 ORL vont partir à la retraite tandis que le nombre d’ORL formés, tous CHU confondus, est de 78. Ce nombre est dû au numerus clausus qui, rappelons-le, était une volonté du ministère.

En effet, de nombreux ORL ont maintenant plus de 60 ans. Entre 1975 et 1985, il y avait deux voies pour devenir spécialiste en ORL : soit en étant interne des hôpitaux, soit en obtenant un certificat d'études spécialisées (CES). Ce système permettait de former un grand nombre d'ORL ayant une orientation plus médicale que chirurgicale, en parallèle des internes. Cependant, ce système a pris fin vers la fin des années 1980, et depuis, les spécialistes ne sont formés que par l'internat. Aujourd'hui, cette génération de spécialistes formés par le CES, avec un profil très médical, part massivement à la retraite

On a une évolution du métier, une régression en nombre et une évolution en qualité qui fait que le profil actuel des candidats à la spécialité est plus chirurgical. Cette tendance pose des problèmes pour la prise en charge de pathologies telles que la surdité ou les vertiges, où une approche plus médicale serait bénéfique.

Une grande quantité de médecins, notamment les femmes, qui sont de plus en plus nombreuses, préfèrent une pratique hospitalière car cela leur offre davantage de sécurité et de stabilité pour concilier vie professionnelle et familiale. En libéral, la gestion de l'assurance et des congés maternité est plus complexe. Pourtant, le système libéral est souvent plus accessible, plus efficace et plus réactif que le système hospitalier. Les deux systèmes sont complémentaires.

De mon point de vue, le véritable problème ne réside pas fondamentalement dans le nombre de médecins, mais plutôt dans leur répartition et les changements dans leurs aspirations professionnelles : les jeunes médecins ne souhaitent plus travailler autant que leurs prédécesseurs. Il y a assez de médecins mais pas assez de présence médicale. Il suffit de regarder les statistiques du temps de travail des cardiologues en fonction de leur âge : le nombre d'heures travaillées par semaine double pratiquement entre les trentenaires et les sexagénaires. Ce n’est pas un reproche mais seulement un constat. Et cela n’est pas propre aux cardiologues. La médecine est une spécialité plus à risque médico-légale qu’elle ne l'était il y a 30 ans. Les patients sont plus informés, la confiance envers les médecins est globalement plus réduite, ce ne sont plus des notables!

Enfin, la tendance actuelle vers la médecine esthétique, touchant beaucoup de spécialités agrées, contribue à aggraver la pénurie de médecins.

Quelles sont pour vous les solutions pour pallier le manque d’ORL actuellement en France ? Quels sont vos principaux conseils ou appels à l’action pour les autorités sanitaires et gouvernementales afin de résoudre cette crise ?

Le problème des déserts médicaux est une question sociétale. Les jeunes médecins qui souhaitent s’installer tout en ayant une vie de famille préfèrent éviter les régions sous-médicalisées. Il s'agit d'un choix de vie, car ils privilégient la proximité des écoles, des universités et des centres urbains. De plus, pour garantir une qualité de vie acceptable et du temps libre, il est nécessaire pour des chirurgiens ORL de s'associer afin d'assurer une rotation des astreintes et de pouvoir bénéficier de pauses régulières.

La solution, je ne l’ai pas. Forcer les médecins à s’installer ne fonctionnera pas car on ne peut aller contre un mouvement sociétal. Il faudrait simplifier énormément l’installation des médecins généralistes car le besoin en soins primaires est essentiel. La télémédecine? En ORL, elle est impossible et ne peut représenter une solution comme en dermatologie par exemple.

Quels impacts cette pénurie a-t-elle sur les patients et leurs délais d’attente pour obtenir une consultation ? Quels sont les risques pour la santé publique associés à cette pénurie ?

La situation est dramatique car il n’y a pas de médecins autres qu’ORL qui soient formés aux vertiges par exemple, que ce soit les généralistes ou les neurologues. C’est un très grave problème de santé publique, pour l’heure ignoré des tutelles.

Nous n'avons pas trouvé d’interlocuteur gouvernemental pour discuter de ces enjeux. Aux États-Unis, le coût annuel des vertiges aigus est estimé à 150 milliards de dollars. C’est énorme! Cependant, dans les États où le nombre d'ORL est plus élevé, ce coût est réduit de moitié. Lorsque les médecins sont formés à la prise en charge des vertiges, les coûts sont considérablement réduits.

Le gouvernement a réduit le nombre d’ORL car cette spécialité a la réputation d’être coûteuse. Pourtant, lorsque vous avez une bonne expertise, vos prescriptions sont plus pertinentes, alors que naviguer dans l’inconnu face à des symptômes à risque, comme le font beaucoup de médecins généralistes sans le vouloir, conduit à des surprescriptions.

Quel rôle les médecins généralistes peuvent-ils jouer pour pallier cette pénurie de spécialistes ORL ? 

Les médecins généralistes sont confrontés à des difficultés majeures : bien que notre politique insiste sur le fait que "tout" doit passer par eux, les moyens nécessaires pour que cela soit possible ne leur sont pas accordés. En France, les ORL ne sont pas en accès direct sauf urgence, à l’inverse de nos confrères dans les pays voisins. Objectivement, je pense que ce système fonctionne mieux, mais aujourd'hui en France, il est trop tard pour l'implémenter : on ne peut pas donner un accès direct à une spécialité qui est déjà en situation de tension et les ORL ne le souhaitent pas.

Un médecin généraliste formé à l’université de Bordeaux, exemple que je connais le mieux, n’entend parler de vertiges, troisième motif de consultation chez le médecin généraliste et aux urgences, que pendant 1 heure. Poser un diagnostic face à un vertige, parfois synonyme d’AVC, est complexe. C’est dommage qu’à l’échelle des universités, le programme ne soit pas adapté à la fréquence et à la potentielle sévérité du symptôme. Force est de constater qu’aujourd’hui, en France, le parcours de soins est très dysfonctionnel : le manque d'ORL oblige les urgentistes et les généralistes à recevoir les patients vertigineux, sans avoir la formation adéquate. En l'absence de professionnels formés, les patients se retrouvent souvent dans une errance diagnostique.

Il faudrait créer une carte de l’offre de soins pour éviter de mauvaises orientations et une perte de temps: “J’ai un vertige, qui est le praticien le plus proche de chez moi et le plus apte à me prendre en charge ?” Et ça, que ce soit un généraliste ou un ORL.

Comment la collaboration entre généralistes et ORL peut-elle être améliorée pour assurer une meilleure prise en charge des patients ?

En ORL, on a l'exclusivité des instruments qui permettent certains diagnostics, mais pour certaines pathologies comme les vertiges, je suis convaincu de l'importance de la formation des médecins généralistes. Environ 80 % des pathologies vertigineuses peuvent être traitées par des généralistes bien formés. La formation initiale ne permet pas de tout voir. Ce qui serait bien, c’est que tous les médecins généralistes soient capables d’écarter l’urgence de certaines pathologies en prenant le temps et en trouvant l’envie de se former.

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